Non pour haïr ensemble mais pour aimer ensemble je suis née.

J.D. VANCE et le « protestantisme zombie » : l’individu contre l’universel

6 mars 2025

J.D. Vance, vice-président des États-Unis, a récemment affirmé que la priorité devait être accordée à la famille, puis aux voisins, à la communauté, à la nation et enfin au reste du monde.

Cette vision hiérarchisée de l’amour du prochain, qu’il attribue à un prétendu « concept chrétien », trahit l’essence même du message du Christ. Dans Matthieu 25, 34-35, Jésus affirme : « Venez les bénis de mon Père… j’étais un étranger et vous m’avez recueilli… » Il ne conditionne pas l’amour du prochain à une appartenance familiale, nationale ou communautaire. De même, dans Éphésiens 2, 19, il est dit : « Ainsi, vous n’êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors; mais vous êtes des concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu. » Ces passages démontrent que le véritable christianisme ne fait pas de distinction entre les individus sur la base de leur origine ou de leur proximité sociale.

Caravage, Les Sept Œuvres de miséricorde, 1607

Le christianisme des origines est universel : tous les hommes sont frères en Christ, indépendamment des frontières et des liens de parenté. Or, Vance inverse cet ordre et légitime un repli d’abord sur l’individu (via la famille), puis sur la communauté et enfin la Nation, ne laissant au monde extérieur qu’un rôle résiduel. Cette vision n’est pas chrétienne, mais relève en réalité d’un individualisme profondément ancré dans la pensée protestante américaine, où la grâce divine se confond avec la réussite individuelle et où la solidarité est limitée à la famille, aux voisins ou à la communauté.

Cette ‘éthique protestante’ (Max Weber) imprègne la culture anglo-saxonne qui a toujours valorisé l’idée que chacun est responsable de son propre sort et que l’individu doit d’abord s’occuper de ses proches avant de songer à la solidarité universelle. Cet individualisme moral s’oppose frontalement au catholicisme traditionnel, qui prône une charité sans distinction et une communauté humaine universelle.

Bien que Vance soit aujourd’hui catholique, son discours illustre ce qu'Emmanuel Todd appelle un protestantisme zombie, c’est-à-dire une survivance de l’éthique protestante du repli communautaire et du nationalisme moral, même chez des convertis au catholicisme.

Ce protestantisme zombie n'a rien à voir avec une foi vivante, mais avec une idéologie conservatrice qui se pare d’un vernis religieux. Il ne repose plus sur un rapport direct à Dieu, mais sur un ordre social qui sacralise la famille nucléaire, la communauté restreinte et la Nation, tout en rejetant l'Etat Providence et en érigeant un mur moral entre les citoyens et le reste du monde. Ce christianisme vidé de sa substance devient ainsi un outil de justification du nationalisme et du rejet de l’autre.

En cela, Vance promeut une vision de la religion utilitariste, où l’amour du prochain devient conditionnel et hiérarchisé. Mais ce n’est pas le message du Christ. Dans le christianisme authentique, il n’existe pas de priorité entre les hommes : l’étranger est aussi mon frère, et la charité ne connaît pas de frontières.

Mais ce protestantisme zombie est aussi profondément contradictoire. Comme l'a démontré Jean-Claude Michéa, le libéralisme culturel que combat Vance accompagne la marche du libéralisme économique promu par l’administration de Donald Trump. Après tout, n’est-ce pas ce même Vance qui soutient un milliardaire transhumaniste de la Silicon Valley ayant eu un enfant par gestation pour autrui ? Drôle de manière de promouvoir la famille…

Cette contradiction révèle la complémentarité structurelle entre le marché et le droit, entre le libéralisme économique et le libéralisme culturel. Loin d’être des opposés, ils avancent main dans la main : le marché déracine les individus, dissout les solidarités traditionnelles et détruit la famille, tandis que le droit, sous prétexte d’émancipation, consacre la toute-puissance de l’individu autonome. Vance prétend défendre la famille et la communauté tout en soutenant un système qui les atomise.

Ainsi, le protestantisme zombie qu’il incarne est en passe de devenir un protestantisme zéro, une coquille vide qui n’emmène plus le monde anglo-saxon vers l’amour du prochain, mais vers un narcissisme nihiliste et sa propre décadence. Sous couvert de défendre des valeurs chrétiennes, Vance légitime en réalité la dissolution du lien social au profit d’un individualisme absolu, où ni Dieu ni la communauté ne peuvent faire obstacle à la logique du profit et du désir.

Nicolas Maxime

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