
« Antigone », une nouvelle revue de débat et d’idées pour le centenaire de René Girard : le numéro 2 est paru !
Placée sous le regard de René Girard et lancée en 2023 à l’occasion du centenaire de sa naissance, la revue Antigone s’inscrit au cœur du débat contemporain comme une revue d’analyse et de discussion. Elle se veut l’organe de nos désaccords, le lieu où toutes les disciplines et toutes les sensibilités peuvent dialoguer. En moins d’un an d’existence, Antigone a su gagner la confiance de signatures prestigieuses : Mark Anspach, Régis de Castenau, Chantal Delsol, Henri Guaino, Tareq Oubrou, Bernard Perret, Mgr Rougé, Lucien Scubla, Martin Steffens, le Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Michel Zink et bien d’autres.
Le présent numéro (250 pages, 19,50 €) constitue un moment de vérité dans l’histoire de notre jeune revue. Son copieux dossier consacré à l’art pousse très loin la volonté de mettre en résonance des points de vue et des disciplines variés : littérature, anthropologie, philosophie, sociologie, pédagogie, économie, politique… Par ailleurs, nous n’avons pas hésité à mettre notre projet éditorial au feu de sujets particulièrement sensibles : constitutionnalisation de l’IVG, conflit israélo-palestinien.
L’avenir d’Antigone se place maintenant entre vos mains. Si vous estimez qu’il est important de lui donner ses chances dans un monde de plus en plus clivé et fracturé, ne tardez pas à nous rejoindre !
Éditorial de Benoît Girard
« L’art a toujours lieu »
La parole est sacrificielle en son essence, nous fait savoir René Girard.
À chaque fois que nous parlons, à chaque fois que nous raisonnons, nous fabriquons des distinctions qui réactualisent la discrimination originelle du coupable dans la communauté des innocents réconciliés.
Suivre René Girard, c’est donc jeter un soupçon radical sur la plupart des « masses de granits » qui protègent notre confort social. Que croire s’il n’est pas de « vérité scientifique » ni de « vérité métaphysique » qui ne dissimule un meurtre ? Et qui croire si aucune violence n’est dissociable du récit qui permet d’en rendre compte ?
Ces questions angoissées contiennent pourtant une beauté négligée : une conscience de notre conscience qui nous permettent de les formuler et en laquelle consisterait, face aux sciences et aux techniques, le lieu de l’art. Toute expression artistique oscille à sa manière entre le mythe qui dissimule et la tragédie qui révèle, entre le mensonge romantique et la vérité romanesque.
Il était urgent de se le rappeler dans une époque où l’« Intelligence artificielle » produit l’illusion d’une réalité qui se confondrait avec la somme de ses classifications et sur laquelle, par conséquent, nous aurions tous pouvoirs. Telle est la régression en laquelle certains voudraient voir une modernité.
Pour la Société des Amis de Joseph et René Girard, il y avait donc une logique, au moment d’organiser les cérémonies du centenaire, de se saisir de l’art pour faire converger de la manière la plus harmonieuse et la plus significative possible les dimensions affective, institutionnelle et intellectuelle d’un tel événement. Ce sont Guilhem Girard et Charly Mandon qui se sont alors vus proposer de relever le défi redoutable de penser et de produire, telle une mise en abyme qui éviterait les écueils d’un didactisme abstrait, ce qui pourrait se présenter comme une traduction esthétique de la pensée girardienne. Cela a pris la forme d’un diptyque musical et littéraire créé à Paris puis à Avignon, en décembre 2023, par l’Orchestre national Avignon-Provence, sa cheffe Debora Waldman, le Quatuor Girard et Loïc Corbery, de la comédie française.
Il y avait une autre logique, pour la revue Antigone, de partir de l’ébullition vécue autour de ces deux événements considérables et de mettre en abyme la mise en abyme.
Pour restituer quelque chose de l’expérience artistique et mémorielle du centenaire, il fallait d’abord qu’Antigone se fasse elle-même œuvre d’art. C’est pourquoi j’ai choisi de donner à lire en ouverture du dossier le poème de Guilhem Girard, immédiatement suivi du bouleversant récit par lequel Charly Mandon a choisi de témoigner avec une sincérité et une profondeur rares de son propre itinéraire de composition. C’est pourquoi aussi je remercie le peintre Vadim Korniloff grâce à qui une palette de couleurs explose au beau milieu de ce numéro. C’est pourquoi enfin j’exprime toute ma reconnaissance au musée de la Philharmonie de Paris sans la confiance duquel nous n’aurions pas pu présenter la « lyre kissar », cet objet qui fascine et qui inquiète comme une chose cachée depuis la fondation du monde.
Si le projet éditorial que j’ai conçu atteint son objectif, nos lecteurs comprendront qu’il n’y a rien là d’une instrumentalisation morbide et irrespectueuse des cultures archaïques mais une mise en abyme de la mise en abyme de la mise en abyme, c’est-à-dire, au cœur même du processus de réception contemporain, toute la puissance du processus de révélation qui ne cesse de se déployer à nouveau. Dans l’événement originel qu’elle continue de faire vibrer aussi bien que dans la route douloureuse qui l’a conduite jusqu’à nous, la lyre Kissar de la Philharmonie de Paris contient une histoire toujours en train de se faire. Bien plus qu’une illustration, la lyre Kissar est ici exposée comme une icône de l’universel humain en route vers son accomplissement en dépit ou grâce aux fracturations de nos sociétés post (?)-coloniales. À mes risques et périls, j’ai choisi de mettre le lecteur, et de me mettre moi-même, à l’épreuve de sa terrifiante ostension.
Autour de ce noyau central, j’ai tenu à faire graviter une galaxie de contributeurs sélectionnés sans autre cohérence que le hasard des rencontres et l’infinie diversité qu’il autorise. Comme dans la tragédie, mon but est de faire émerger des questions à partir du dialogue entre les textes et non que chacun d’eux se perçoive, ou soit perçu, comme une planète autonome d’un « système Girard » qui tournerait en vase clos.
Dans la continuité des textes de Guilhem Girard et de Charly Mandon, ce dossier sur l’art donne la part belle aux praticiens, peintre et musiciens de tous les genres et de tous les styles – « girardiens » convaincus, simples compagnons de route ou pas girardiens du tout : Jean-Sébastien Bressy, grand défenseur et illustrateur de la chanson française ; Elisabeth Angot, compositrice assoiffée de pureté musicale ; Debora Waldman, cheffe d’orchestre humaniste dont l’itinéraire de vie est une œuvre en elle-même ; Vadim Korniloff, peintre déjà cité, dont le pinceau anarchiste et conservateur fait résonner la théorie mimétique avec l’interprétation debordienne du Spectacle.
Même quand il s’agit de faire droit à la théorie, j’ai choisi de privilégier le pas de côté. C’est le violoniste Grégoire Girard qui prend la parole pour rendre compte du rapport entre René Girard et la musique au travers d’un travail de recherche qu’il a eu l’occasion de mener au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris sous la direction de Benoît Chantre. C’est l’anthropologue Lucien Scubla qui se livre à une véritable enquête policière et s’arme de la « formule canonique des mythes » pour faire surgir le tableau manquant à partir d’un dialogue entre Poussin, René Girard et Claude Lévi-Strauss.
Enfin, comme la pensée de René Girard ne cesse de faire entendre la « voix méconnue du réel », j’ai tenu à ce que l’art ne reste pas cantonné dans le ciel des idées mais qu’il soit renvoyé aux conditions matérielles et politiques de sa production. Deux belles rencontres permettront aux lecteurs de se frotter à ces enjeux : Gilles Delebarre, directeur adjoint du Département éducation de la Philharmonie de Paris et délégué au projet Démos, qui met en lumière le lien entre citoyenneté et pratique musicale, faisant revivre à sa manière la dialectique très girardienne des ressemblances et des différences ; le pianiste Rémy Cardinale a qui j’ai confié le soin de conclure ce dossier par une réflexion décapante sur l’artiste comme travailleur. Je forme le souhait que nul n’en sorte indemne.
Voici comment, pour rebondir au pluriel sur l’un de ces beaux titres dont René Girard avait le secret, revit au cœur d’Antigone la triple conversion de l’art : conversion romanesque qui installe la découverte du « mensonge romantique » au plus intime de nos bouleversements existentiels ; conversion épistémologique qui, à partir ce cette intuition littéraire, transforme radicalement notre rapport à la culture ; conversions personnelles, religieuses ou poétiques, qui permettent aux artistes de ce temps de mettre la flamme inextinguible des beautés humaines à l’abri d’une période travaillée par les passions tristes.
Nouveau : Le blog de la revue Antigone

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Lucien Scubla est anthropologue, chercheur au CREA (Centre de recherches en épistémologie appliquée), spécialiste de Lévi-Strauss (Lire Lévi-Strauss, Odile Jacob, 1998) et en même temps lecteur critique de René Girard. Les travaux de Lucien Scubla permettent donc d’adopter un point de vue panoramique sur l’anthropologie française du XXème siècle. Au-delà des thèses défendues ou débattues, […]
Nos contributeurs
Élisabeth Angot – Compositrice, fondatrice de l’Ensemble 44 (2019) puis de la Saison Contemporaine en Avignon (2023). Elle cherche à partager la création contemporaine avec un public aussi large que possible.
Mark Anspach – Anthropologue, ancien chercheur au CREA, auteur de À charge de revanche, Figures élémentaires de la réciprocité (Seuil, 2002) et de et de Œdipe mimétique (L’Herne, 2010). Il a également dirigé le Cahier Girard paru aux éditions de L’Herne en 2008.
Alix Avril – Journaliste et cofondatrice de la librairie Le Temps Retrouvé à Salbris.
Jean-Sébastien Bressy – Auteur-compositeur-interprète, passionné de poésie et de chanson françaises. Son dernier album, Les Indiens, est paru en novembre 2022.
Rémy Cardinale – Pianiste et fondateur de « L’Armée des Romantiques » (2010), ensemble spécialisé dans le répertoire romantique sur instruments historiques. Membre de « Réseau Salariat », il poursuit une réflexion sur les conditions matérielles du travail artistique dans la veine des travaux de Bernard Friot.
Régis de Castelnau – Avocat, spécialiste du droit syndical et des collectivités locales. Auteur de nombreux ouvrages, dont Pour l’amnistie (Stock, 2001) et plus récemment, Une Justice politique (L’Artilleur, 2020), il tient également le blog juridique « Vu du droit ».
Catherine Conrad – Normalienne, agrégée de philosophie, professeur de chaire supérieure en classes préparatoires.
Gilles Delebarre – Ethnomusicologue, directeur adjoint du Département éducation de la Philharmonie de Paris, délégué au projet Dé́mos.
Chantal Delsol – Philosophe, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, ses recherches se situent au croisement de la philosophie juridico-politique, des sciences politiques, de la géopolitique et de la sociologie des mentalités. Derniers ouvrages parus : Ainsi meurt la démocratie (avec Myriam Revault-d’Allones, 2022) et Le paradis est épars (Le Cerf, 2023).
Père Paco Esplugues – Théologien et spécialiste du Concile Vatican II, enseignant, curé de la paroisse Saint-Agricol d’Avignon.
Mgr François Fonlupt – Archevêque d’Avignon.
Benoît Girard – Professeur d’histoire-géographie, membre du Conseil scientifique de la SAJRG, directeur éditorial de la revue Antigone.
Grégoire Girard – Premier violon du Quatuor Girard, diplômé du Conservatoire National Supérieur de Musique et de danse de Paris.
Guilhem Girard – Ancien étudiant de l’ENS Lyon, agrégé de lettres classiques.
Marie Girard – Professeur de chaire supérieure en classes préparatoires au lycée Henri IV (mathématiques), présidente de la SAJRG.
Henri Guaino – Ancien commissaire général au Plan et conseiller spécial de Nicolas Sarkozy. Dernier livre paru : « À la septième fois, les murailles tombèrent » (Éditions du Rocher, 2023).
Vadim Korniloff – Artiste peintre, tenant d’un « classicisme anarchiste », il a récemment illustré une nouvelle édition de Les Fleurs Du Mal de Charles Baudelaire, et des Fêtes galantes de Paul Verlaine. (Memento Mori, 2022 et 2024).
Charly Mandon – Compositeur, formé au CNSMDP auprès de Jean-François Zygel, Thierry Escaich et Guillaume Connesson, il voit ses œuvres de musique de chambre interprétées par de grands noms comme Nicholas Angelich, Lucas Debargue, Jérôme Ducros ou Jérôme Pernoo ; après deux commandes symphoniques pour l’Orchestre Colonne, il signe les Actes rituels, créés par Débora Waldman, l’Orchestre national Avignon-Provence et le Quatuor Girard en 2023.
Bernard Perret –Ancien élève de l’École polytechnique et de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), ses recherches couvrent un champ très large : questions socio-économiques et écologiques, épistémologie, anthropologie religieuse. Dernier ouvrage paru : Violence des dieux, violence de l’homme (Seuil, 2023).
Lucien Scubla – Anthropologue, ancien chercheur au CREA, spécialiste de Lévi-Strauss (Lévi-Strauss, le déploiement d’une intuition, Odile Jacob, 1998).
Frédéric Teste –Kinésithérapeute, ostéopathe (ancien membre du Team Citroën Sport en Championnat du monde des rallyes WRC), il développe une approche analytique des techniques de soins au profit de ses patients (Conversations Tissulaires, Sully, 2022).
Debora Waldman – Cheffe d’orchestre brésilienne et israélienne, assistante de Kurt Masur à l’Orchestre national de France puis directrice musicale de l’Orchestre national Avignon-Provence.
Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine – Prêtre catholique, prédicateur, écrivain, compositeur et chanteur, il se sert de sa plume et de sa voix pour déployer son action apostolique. Dernier ouvrage paru : Dieu se promène en clandestin (Robert Laffont, 2022).